Aujourd’hui, mise au cœur des problématiques environnementales, organisationnelles et d’innovations, la créativité individuelle et collective est réveillée. Les repères changent, les ruptures se consomment, cédant la place à l’idée d’une nécessité impérieuse de « faire autrement » pour préparer l’avenir. Partout dans le monde, les capacités imaginatives des leaders économiques, politiques, et d’organisations ou simples citoyens fleurissent et deviennent des modèles célébrés par tous.

« L’innovation et l’imagination au commande » semble être donc le leitmotiv de ce 21ème siècle. Cependant, dans l’imaginaire collectif, on continue d’associer volontiers le travail créatif avec environnement flexible, créatif et motivant. Ainsi faudrait-il nourrir sa réflexion au quotidien, s’entourer positivement afin de favoriser l’essor créatif.

Vu sous cet angle, le contexte ambiant de crise, les tensions sociales et économiques constituent-elles réellement un contexte favorable à l’émergence de la créativité ?  Ces pressions extérieures limitent-t’elles l’exploration de l’esprit ou au contraire agissent-elles comme un stimulant ?

Des exemples dans des domaines variés, montrent que bien souvent ce sont à l’inverse, les conditions extrêmes, les obstacles, et les contextes difficiles qui poussent les individus à explorer la voie de la créativité.

« Dans les ténèbres, l’imagination travaille plus activement qu’en pleine lumière. » Emmanuel Kant

Le meilleur peut surgir d’un contexte de pénurie et de manque. Souvent, ce carcan imposé par l’extérieur, oblige l’individu ou le groupe à envisager les choses sous un angle neuf.  Celui-ci le pousse à dépasser certaines contraintes environnementales ou matérielles. En s’insérant dans le processus créatif, la contrainte devient pour celui qui la subit, un moteur et un stimulant non négligeable. C’est bien connu, L’homme privé de ressources matérielles, développe ce qu’il a de plus : son ingéniosité.

Créativité et contraintes économiques

Enseigne taxi à  La Havane à partir de bidon d’essence  (CUBA) 

Beaucoup d’initiatives dans le monde aujourd’hui, témoignent de cette réalité. Celle ci émerge le plus souvent dans des milieux ou contraintes économiques et/ou culturelles sont de mises. Communément appelé système D (D comme Débrouille), ces exemples sont légions et associent le plus souvent, détournement d’objet du quotidien à des fins utiles, récupération écologique et minimalisme technique.
L’exemple le plus probant de cette association contrainte/créativité reste celui de Cuba. Subissant depuis des décennies l’impact du blocus américain, ces habitants ont érigé la capacité à faire face à la pénurie des biens de consommation, en réel modèle économique. Imprégnée de l’esprit de la révolution cubaine, cette spécificité locale est érigée aujourd’hui comme un véritable « art de vivre » faisant de cette île par exemple la 8e position au classement des pays qui recyclent le plus de boîtes de conserve. 
Transformation de pneu usagers en sandales en caoutchouc (GHANA)
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Le continent africain regorge également d’exemples où cette dynamique créative s’inscrit dans le quotidien difficile de ses habitants. Beaucoup de sites saluent et rendent hommage d’ailleurs à cette ingéniosité africaine qui contourne de manière astucieuse rareté des matériaux et pénurie.

A l’échelle collective, ces initiatives donnent lieu à de véritables projets de développement locaux intégrant à la fois l’innovation, respect de l’environnement et recyclage des déchets. Des initiatives admirables à l’image de la structure Trashybags qui réutilise des sacs plastiques usagés pour en faire des sacs tendances recyclés et crée de l’emploi.

Contrainte voulue et inspiratrice : La contrainte libératoire

Si la créativité est quelquefois stimulée par un environnement contraignant subi par un individu ou une collectivité, d’autres peuvent l’employer volontairement à des fins d’inspiration. Un exemple fort éloigné de nos précédents sujets, se situe dans le vaste domaine de la création artistique. Le champ artistique démontre souvent comment la contrainte peut et est privilégié comme outil d’inspiration artistique. L’artiste l’utilise comme un carcan défini au préalable dont le rôle principal est de stimuler sa créativité. Un courant érige même la contrainte comme un exercice de style, source même du processus de création. Ce courant appelée « contrainte artistique volontaire » ou contrainte libératoire se retrouve au sein de plusieurs disciplines artistiques, telles que la photographie, la littérature, la peinture ou le design. A titre d’illustration, l’exemple célèbre en littérature illustrant la méthode dite du lipogramme est l’ouvrage La Disparition (1969) de Georges Perec, un roman de plus de 300 pages soient  360 000 lettres ne comporte pas la lettre e.   

Autant d’exemples empruntés à divers domaines d’activités humaines et qui souligne l’importance de la contrainte comme facteur déclenchant du processus d’inventivité. Qu’il soit subit par l’environnement ou volontairement convoqués dans une pure démarche d’inspiration, le facteur contrainte reste intimement lié au processus créatif en ce sens qu’il incite justement à sortir d’un cadre de référence donné, celui auquel notre environnement culturel, géographique ou professionnel nous a habitué.